DossierHistoire de la robinetterie sanitaire, des origines à nos jours

Histoire de la robinetterie, épisode 4 : le XIXe siècle, de la Révolution au préfet Rambuteau

Venant clore le XVIIIe siècle, la Révolution va durer six ans. Six ans durant lesquels industrie et artisanat seront figés. A la fin du Directoire, en 1799, les eaux de source et les pompes à feu ne fournissaient que huit litres d’eau par jour et par habitant. C’était peu, très peu.

Les conditions au développement d’une robinetterie sont alors défavorables. Le Consulat, puis l’Empire, vont créer les éléments de la remise en route du pays (le Code civil, le Franc germinal…), mais, outre-Manche, l’exceptionnel essor économique de l’Angleterre va en faire l’atelier (pour ne pas dire l’usine) de l’Europe et d’une partie du monde, et ce jusqu’en 1851. Un exemple : en 1750, la Grande-Bretagne importait deux fois plus de fer qu’elle n’en produisait ; en 1815, elle en exporte cinq fois plus ! Les produits anglais font référence pour tout ce qui concerne les équipements relatifs à l’hygiène : hydrothérapie, confort sanitaire… Ils sont appréciés tant pour leur modernité que pour leur qualité.     

Napoléon, dont on connaît le goût prononcé pour les bains très chauds, fera quelques émules, et l’on peut toujours admirer les salles de bains de la Malmaison, Compiègne, Fontainebleau ou Rambouillet. Bon administrateur, il eût aussi des ambitions pour la capitale.

Les fontaines et le canal de l’Ourq

L’empereur décida de faire couler en permanence les cinquante-six fontaines de Paris, et d’en créer d’autres (décret de mai 1806), dont certaines monumentales, afin de faire cesser le commerce de l’eau dans la capitale. Pour assurer le volume d’eau nécessaire, il reprit un très ancien projet du XVIe siècle : dériver les eaux de l’Ourq et de la Beuvronne (à environ 85 km de la capitale) pour les faire aboutir dans un vaste bassin, près de la Porte de La Villette. Faute de précédents techniques, ralenti par diverses options, le projet voté en 1802 ne démarre qu’en avril 1805, l’empereur ayant opté pour un canal navigable. Photo ci-dessus : la fontaine du Palmier fut édifiée sur l’emplacement de la prison du Châtelet, de 1806 à 1808, sur l’ordre de Napoléon Ier. Gravure du XIXe siècle.

Achevé en octobre 1808, le bassin de La Villette reçut les eaux dérivées, fort opportunément, le 2 décembre 1808 pour l’anniversaire d’Austerlitz. Le canal et le bassin allaient fournir 70 000 m³ d’eau à la ville, principalement pour les fontaines, et faisaient gagner deux jours de navigation aux bateaux, entre Saint-Denis et Paris. 

Conjointement, fut crée en 1807 un « Service des Eaux », administration régie par la Ville, sous la surveillance du directeur général des Ponts et Chaussées, et l’autorité du ministre de l’Intérieur. L’empereur avait bien d’autres projets pour Paris, mais ils furent neutralisés par ses ambitions militaires. 

Les programmes ambitieux des préfets de la Seine

Après la chute de l’Empire, les travaux furent repris par deux préfets soucieux d’améliorer le confort urbain de la capitale. Nommé préfet de la Seine en 1812, Chabrol entreprit l’achèvement des canaux Saint-Denis et Saint-Martin. Il prévoyait de mettre en place des structures indispensables à la distribution de l’eau : galeries, canalisations, réservoirs… Elles devaient être affectées pour moitié à un service public gratuit et pour moitié à un service privé payant, réservé aux abonnés (lavoirs, abreuvoirs, bains et particuliers). 

Ce programme ambitieux se heurta à une réalité physique, le débit général des canaux avait été largement surestimé. Il était nécessaire de le compléter en investissant dans des pompes à vapeur et un réseau de conduites. Une question se posa alors : qui serait en capacité d’investir ? La Ville ou une compagnie privée ? Succédant en juin 1833 à Chabrol, le préfet Rambuteau hérite de ce dilemme, alors que le souvenir de la terrible épidémie de choléra de 1832 est encore dans les esprits. L’eau y était pour beaucoup, mais on l’ignorait.

Rambuteau installe des réservoirs et des fontaines

Renonçant à déléguer les travaux à une compagnie privée, Rambuteau décide d’augmenter le débit de l’Ourq avec l’apport d’un cours d’eau, le Clignon. Il va ensuite concentrer son action sur deux équipements. D’abord la construction de six réservoirs de 10 000 m³, placés sur les hauteurs et se remplissant la nuit. Cela impliquait la pose de conduites et un début de robinetterie. Notons au passage que, dès la fin du XVIIIe siècle, la fonte de fer avait commencé à se substituer au plomb. En 1825, la courbe des prix s’était inversée, et la fonte coûtait alors deux fois moins cher que le plomb. 

Ensuite, Rambuteau se consacre aux fontaines. Il va multiplier les « bornes-fontaines », c’est-à-dire rehausser les fontaines dont les eaux se déversaient à l’origine à fleur de pavé. Rendues plus accessibles au puisage, leur nombre va passer de cinq cents à deux mille unités ! Par ailleurs, il engage l’édification de treize fontaines monumentales, dont celle de la place Saint-Sulpice est un exemple.

En 1848, lorsque Rambuteau quitte ses fonctions, le Services des Eaux de la Ville compte cinq mille trois cents maisons abonnées, recevant quotidiennement 1 500 litres d’eau pour une somme annuelle modique. 

Les prémices d’une industrie

Rappelons que l’histoire du robinet est inséparable de celle de l’alimentation en eau des agglomérations. Avec Rambuteau et les milliers d’immeubles desservis par ses réservoirs, le besoin de tuyauteries et de robinets apparaît. 

Une production encore artisanale émergeait dans le pays, utilisant le bon vieux système du boisseau, lequel répondait largement aux contraintes. Si les réservoirs alimentaient enfin un assez grand nombre d’immeubles, la pression n’était pas uniforme. Elle restait faible, et l’était encore plus en fin de journée quand le niveau des réservoirs baissait. Il faut noter cependant que la définition du robinet ne variait pas. Elle demeurait étroitement liée à l’art du fontainier, pas encore qualifié de plombier. 

Dans le Dictionnaire abrégé de l’Académie Française (1818) on peut lire : « pièce d’un tuyau de fontaine, clef du robinet. » Même définition dans le Vocabulaire français de Wailly (1821). On la retrouve dans le Manuel d’Architecture de C.J. Toussaint : « Robinet : clef d’un tuyau qui sert à retenir et à lâcher les eaux à volonté ». Définition qui sera reprise par Littré dans son grand dictionnaire de 1869. 

Le matériau privilégié pour les « robinets de fontaines » était le bronze, alors parfaitement maîtrisé, incluant une forte quantité de cuivre. Or, en 1831, apparaissent en France les premiers fours à laiton, ce métal étant alors appelé « cuivre jaune ». A cette époque, on se livre également aux premiers essais de dépôt de chrome dur. Et nous avons vu que la fonte de fer commençait à remplacer le plomb pour les grosses conduites. 

C’est en 1847 qu’est créée la fonderie « Piel » qui va se spécialiser dans la production de robinets pour l’eau, le gaz, la vapeur et les pompes. 

Les types de robinets domestiques au début du XIXe siècle

En se reportant au Mémento des architectes et ingénieurs, de C.J. Toussaint, architecte du Roi (1838), nous avons une idée des principaux types de robinets utilisés dans cette première moitié du XIXe siècle, et même de leur prix (ci-contre : partie d’une planche extraite de ce mémento. Les figures 617 et 626 représentent deux robinets à boisseau au bec zoomorphe dont le célèbre col de cygne, et la figure 607 montre une cuvette perfectionnée avec son système d’alimentation et de chasse) :
Les « robinets à tête » : ce sont des robinets à boisseau, également appelés « robinets à tournant », en cuivre-potin (alliage de cuivre jaune et d’un peu de cuivre rouge) dont le diamètre de sortie est de 13,3 ou 27 mm. Ces robinets coûtaient alors entre 6 et 11 francs pièce (environ 24 à 44 €). Pour les diamètres supérieurs à 27 mm, ces appareils se vendaient alors au kilo.
Les robinets à « col de cygne » pour baignoire. Ils sont vendus par paire, 24 francs.
Les robinets de « garde-robe à l’anglaise », garnis de leur bride de fixation, leur poignée, et leur vis. Ils sont destinés aux cuvettes de faïence, et fonctionnent comme des « robinets flotteurs » pour les cuvettes ovales disposant d’un réservoir. Les cuvettes rondes, sans réservoir, sont dites « demi-anglaises ».
Les robinets à 2 ou 3 eaux : leur « clef » est percée de manière à s’adapter à deux ou trois tuyaux différents. Ils sont destinés à des fontaines dont on désire faire varier les sorties d’eau.

Dans cet ouvrage, on note également que les tuyaux de descente sont en fonte, et que les tuyaux les plus courants sont en plomb moulé. Apparaît enfin, nommément, le métier de « plombier » ; la journée d’un compagnon plombier étant facturée 5 francs. 

Des fontaines d’intérieur « filtrantes »

L’Angleterre industrielle domine toujours l’Europe et exporte les produits qu’elle va montrer au monde entier lors de la première Exposition Universelle, en 1851, dans le cadre du Crystal Palace. La France et l’Allemagne s’emploient à combler leur retard et vont bientôt y parvenir. Si les installations justifiant la présence de robinets sont loin d’être généralisées, leur nombre s’accroît toutefois notablement. 

Les principes d’hygiène, véhiculés par les écrits des médecins hygiénistes, actualisés par les épidémies, sont eux aussi loin d’être répandus, mais ils gagnent du terrain, accompagnés d’une interrogation sur la qualité de l’eau. Or, l’apport fourni à la capitale par le canal de l’Ourq est, à cet égard, loin d’être satisfaisant, d’autant qu’il sert aussi à la navigation. 

Pour toutes ces raisons, on assiste à la commercialisation de fontaines « filtrantes » et « purifiantes ». En faïence, cuivre, zinc et même étain, ces fontaines murales filtrent l’eau avec de la pierre de grès, du sable ou du gravier. Celles qui la purifient utilisent le charbon. Les premiers filtres à charbon, inventés par un pharmacien russe, furent popularisés en France dès 1812. L’eau de ces fontaines, remplies manuellement, était puisée à l’aide d’un ou deux petits robinets à tournant, plus ou moins ouvragés. Ces fontaines surmontaient souvent une vasque assortie au même matériau. 

Terminons avec les « fontaines d’immeubles », c’est-à-dire des réservoirs situés au niveau de la toiture qui, remplis par les pluies, alimentaient les logements des différents étages. L’eau était distribuée avec plus ou moins de pression vers les lieux de puisage (cuisine, office, salle de bains…) équipés d’un robinet à boisseau, mural, branché sur la conduite.

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