Villeroy & Boch : l’art de la longĂ©vitĂ©

PlacĂ©e sous le signe de l’Ă©phĂ©mère, notre Ă©poque manifeste une recherche avide de racines oubliĂ©es ou perdues. Il est donc rassurant de voir une entreprise fĂŞter ses 275 ans en 2023, soit plus qu’un quart de millĂ©naire, avec Ă  sa tĂŞte des descendants des fondateurs, Ă  la neuvième gĂ©nĂ©ration. Mais Villeroy & Boch, si l’on considère les origines de l’art de la cĂ©ramique, demeure une jeune maison, pleine d’avenir.

Atelier de fabrication Villeroy & Boch à la fin du XVIIIe siècle

Portraits des deux fondateurs de Villeroy & BochC’est en 1748 que François Boch (ci-contre, en haut) se lance dans la fabrication d’objets en cĂ©ramique, dans le village lorrain d’Audun-le-Tiche. A cette Ă©poque, faĂŻence et porcelaine commencent Ă  supplanter l’Ă©tain pour la vaisselle et nombre d’ustensiles courants : vases, encriers, bougeoirs… L’ambition est de fabriquer en quantitĂ© des objets de qualitĂ© afin de concurrencer les produits importĂ©s d’Angleterre. Non loin de lĂ , Ă  Wallerfangen (alors Vaudrevange), Nicolas Villeroy (ci-contre, en bas) ouvre en 1791 une manufacture de faĂŻence. Face Ă  la concurrence britannique, les deux entrepreneurs fusionnent en 1836, donnant naissance Ă  la marque Villeroy & Boch.

La terre, le feu et l’industrie

Il faut prendre ici le terme « industrie » dans son sens premier : l’habiletĂ© Ă  faire quelque chose. Presque un synonyme d’intelligence, mais d’intelligence crĂ©atrice. Chez Villeroy & Boch, l’industrie se consacre aux matĂ©riaux nĂ©s de la terre et du feu.

La première diversification commune sera la cristallerie de Wadgassen, sur la Sarre, en 1843. Comme la cĂ©ramique, le cristal chasse l’Ă©tain, l’argent, le vermeil. En 1850, Villeroy & Boch offre aux puristes une porcelaine extra, le Bone China. Plus tard, la dĂ©couverte d’une mosaĂŻque romaine, sur les bords de la Moselle, et qu’il va falloir restaurer, donne Ă  Eugen Boch l’idĂ©e de fabriquer des carreaux de sols dont l’esthĂ©tique et la durabilitĂ© seront comparables Ă  celles des Romains.

L'ancienne abbaye bĂ©nĂ©dictine de Mettlach, devenue le siège sociale de Villeroy & BochL’usine de carreaux sera installĂ©e Ă  Mettlach, dans une ancienne abbaye bĂ©nĂ©dictine acquise en 1809 (siège social de l’entreprise depuis lors). Elle commence Ă  produire en 1856, selon les règles de la maison : du beau et du solide, en grande sĂ©rie. La renommĂ©e des carreaux de Mettlach va s’Ă©tendre Ă  toute l’Europe, et l’un des premiers chantiers artistiques confiĂ© Ă  Villeroy & Boch sera le pavement de la cathĂ©drale de Cologne : 1 300 m² de mosaĂŻque !

Constance dans la diversification

Carrelage de Mettlach au sol d'une maison de 1860La diversification s’exerce dans deux directions : les produits et les mĂ©tiers. En 1856, une nouvelle fabrique, consacrĂ©e Ă  la vaisselle et aux poĂŞles de faĂŻence, s’ouvre Ă  Dresde. En 1879, la demande de produits pour le bâtiment suscite l’usine de Merzig (Sarre). Villeroy & Boch habille les sols – dont ceux du Titanic… –, les murs et parfois les façades de villas, musĂ©es, hĂ´pitaux, bains publics, gares, magasins (ci-contre, carreaux de sol de Mettlach, dans une maison de 1860, Ă  Dresde, source Wikimedia). En 1899, alors que l’adduction d’eau se dĂ©veloppe, la marque s’intĂ©resse aux appareils sanitaires et carreaux de piscines, et produit des canalisations. Lorsqu’en 1900 le mĂ©tro parisien inaugure sa ligne n°1, les carreaux sont signĂ©s Villeroy & Boch. Si le premier conflit mondial perturbe gravement l’activitĂ©, le second manque d’ĂŞtre fatal Ă  l’entreprise qui perd trois sites (Breslau, Dresde et Torgau) et se voit confisquer ses usines sarroises.

Constance dans l’innovation

Les positions acquises par Villeroy & Boch dans ses diffĂ©rents mĂ©tiers s’expliquent par son inventivitĂ©. Pour produire mieux et moins cher, François Boch avait innovĂ© avec un four de grande contenance Ă©conomisant le bois. Nicolas Villeroy avait Ă©tĂ©, lui, le premier Ă  remplacer le bois par la houille. Des 1809, les fours fonctionnaient uniquement au charbon. Jean-François Boch, Ă©lève des Arts et MĂ©tiers, inventa un système rĂ©cupĂ©rant les gaz de combustion et permettant un contrĂ´le extĂ©rieur de la tempĂ©rature de chauffe. Cet outil allait procurer Ă  la firme un avantage dĂ©terminant.

En 1846, l’adoption du pressage Ă  sec autorisait la production en sĂ©rie de carreaux de grès multicolores. Les recherches sur les couleurs et leur rĂ©sistance furent une prĂ©occupation constante ; en 1829 Ă©tait mise au point une faĂŻence d’un blanc Ă©clatant (la faĂŻence tirait alors plutĂ´t vers le gris) et suffisamment robuste pour concurrencer la porcelaine. En 1850, l’impression de dĂ©cors polychromes sera rĂ©alisĂ©e.

L’utilisation de l’argile rĂ©fractaire et, plus tard, la mise au point d’un procĂ©dĂ© de coulage de la barbotine allaient ĂŞtre dĂ©terminantes pour la production d’appareils sanitaires. En 1902, Villeroy & Boch est le premier Ă  disposer d’un four tunnel au gaz. L’innovation, qui s’Ă©tendit de la technique au social, dĂ©buta dès 1812, sous l’impulsion de Pierre-Joseph Boch, avec la crĂ©ation de la ConfrĂ©rie Saint-Antoine, une caisse sociale pour ouvriers qui servira, 70 ans après, de modèle au chancelier Bismarck pour la mise en place du système d’assurance sociale allemand, unique en Europe. Cette politique aura permis Ă  Villeroy & Boch de surmonter les pĂ©riodes sombres de son histoire.

Conjuguer l’art et l’industrie

Vase Villeroy & Boch, dĂ©cor Vieux LuxembourgParce que son premier mĂ©tier fut les arts de la table, Villeroy & Boch ne pouvait tenir l’esthĂ©tique pour mineure. L’entreprise a toujours Ă©tĂ© un foyer crĂ©atif, et les Boch Ă©tant collectionneurs, le MusĂ©e de Mettlach rassemble la plus importante collection de cĂ©ramiques d’Europe (ci-contre, vase dĂ©cor Vieux Luxembourg, source Wikimedia). Les motifs exĂ©cutĂ©s au XVIIe siècle sont rĂ©Ă©ditĂ©s. Il en sera peut ĂŞtre de mĂŞme pour ceux qu’apportèrent les artistes du Jugendstil (Art Nouveau) Ă  la fin du XIXe siècle, ou bien ceux du Bauhaus et des Arts DĂ©co français au cours des annĂ©es 1930, en particulier la contribution d’Henry van de Velde.

Il Ă©tait assez logique que la firme qui crĂ©a des articles pour l’esthète tourmentĂ© que fut Louis II de Bavière fasse appel Ă  des stylistes et designers de renom. Ainsi, pour la vaisselle et les carrelages, Maggy Champsaur, Paloma Picasso, Kenzo pour les arts de la table et le carrelage ; et pour le sanitaire Luigi Colani, Frogdesign, Matteo Thun, Patrick Frey et, plus rĂ©cemment, Kai Steffan, Gesa Hansen…

La Boule de Villeroy & Boch, dĂ©cor ParadisoEt n’oublions pas que la branche belge de la famille compta plusieurs artistes authentiques : Anna Boch et son frère Eugène, deux nĂ©o-impressionnistes, amis de Van Gogh, dont les toiles sont recherchĂ©es par les collectionneurs. Citons encore Helen Von Boch qui, dans les annĂ©es 1970, crĂ©a la fameuse Boule – die Kugel en allemand –, un service de table pour quatre personnes, au dĂ©cor sans cesse renouvelĂ©, notamment en cette annĂ©e anniversaire (ci-contre). A cette mĂŞme occasion, quatre tasses ont d’ailleurs Ă©tĂ© dĂ©corĂ©es par d’autres descendants des familles fondatrices de l’entreprise : OphĂ©lie de Pimodan de la huitième gĂ©nĂ©ration de la famille Villeroy, Carl-Angelo Kivu de la dixième gĂ©nĂ©ration de la famille Boch, Lucia de Quiqueran, Ă©galement membre de la famille Boch, et Michel Villeroy de Galhau, issu de la septième gĂ©nĂ©ration.

Villeroy & Boch et le sanitaire

Double lavabo Ă®lot, signĂ© Luigi Colani pour Villeroy & Boch (annĂ©es 1970)La production d’accessoires de toilette (cuvettes, brocs, porte-savons, pots de chambre…) dĂ©bute vers 1856. C’est Ă  partir de 1899, grâce Ă  une rĂ©volution technique, que la production Ă©volue vers les appareils sanitaires. Il s’agit de la mise au point du grès sanitaire, une cĂ©ramique Ă  base d’argile rĂ©fractaire qui Ă©vitait la dĂ©formation des grosses pièces lors de la cuisson. Ensuite de la coulĂ©e en barbotine qui autorisait l’utilisation de moules et la maĂ®trise de l’Ă©paisseur des lavabos, des baignoires, bidets et cuvettes WC. La production fut rĂ©partie sur trois usines : Wallerfangen, Marzig et Dresde.

L’après-guerre et les annĂ©es cinquante se caractĂ©risent par l’abandon des baignoires en cĂ©ramique et l’apparition de la couleur pour les autres appareils. Il faut attendre 1970 pour qu’une collection complète d’appareils soit conçue par un designer renommĂ© : Luigi Colani (ci-dessus).

Aujourd’hui, l’entreprise dispose de huit usines dĂ©diĂ©es Ă  la salle de bains, dont une en France, Ă  Valence d’Agen, qui fabrique des receveurs de douche, plans de toilette et Ă©viers.

La maison pour futur

Acteur des arts de la table, ensemblier de la salle de bains, Villeroy & Boch est riche d’une culture d’entreprise intacte. AnimĂ© d’ambitions conformes Ă  celles de ses fondateurs, le groupe bĂ©nĂ©ficie d’un courant contemporain, orientĂ© vers la dĂ©coration et le confort de la maison. Fort de son passĂ©, il en fait son futur.

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