Lavatory Madeleine : les dernières latrines 1900 de Paris ont retrouvé leur lustre d’antan

Inaccessibles depuis plus d’une décennie, les plus anciennes toilettes publiques de la capitale, construites à l’orée du XXe siècle sous la place de la Madeleine, ont rouvert leurs portes. Un trésor inscrit à l’inventaire des Monuments Historiques dont le décor de style Art nouveau vient d’être restauré et qui constitue, à ce jour, l’ultime lavatory encore en activité, précieux témoignage de la Belle époque.

Intérieur des lavatory de la Madeleine à Paris

La notice consultable sur la base de données du Patrimoine architectural (Mérimée) confirme le caractère historique de ce lavatory qui, datant de 1905 et « inspiré du modèle déjà en fonction en Angleterre, est le premier édifice de ce genre en France. » En matière d’hygiène et de salubrité, Londres était en avance sur son temps et Paris suit la tendance impulsée outre-Manche dans les années 1880…

Cet anglicisme, un rien désuet, caractérise alors des galeries souterraines accueillant des toilettes publiques décentes, dont l’équipement représente le summum du confort moderne. Dans ces établissements d’un genre nouveau, hommes et femmes peuvent faire un brin de toilette, comme le souligne l’étymologie du mot, dérivée du verbe latin lavere (laver). Par extension, et c’est le sens vers lequel il a évolué depuis, le lavatory, ancien ou contemporain, est devenu un euphémisme pour désigner les WC, quelle que soit leur forme.

Un décor unique, (re)devenu une attraction

Entrée du lavatory de la Madeleine à ParisArchétype d’un genre aujourd’hui en voie de disparition, le lavatory centenaire de la Madeleine est une bulle temporelle où convergent « le beau, le luxe et l’utile », selon Karen Taïeb, adjointe au patrimoine de la Ville de Paris, propriétaire des lieux qui viennent d’être méticuleusement restaurés par leur concessionnaire, la société 2theloo (Point WC). Livrant ses adresses préférées dans son guide La Parisienne (Flammarion), Inès de la Fressange partageait déjà cet enthousiasme, peu avant qu’il ne ferme ses portes en 2011. L’égérie Chanel le décrivait ainsi : « Si vous voulez surprendre une personne qui vous accompagne, placez-vous face à l’église de la Madeleine, dos à la Concorde, et juste sur la droite, cherchez un petit escalier indiquant les toilettes. Comme c’est rigolo ce saut dans le temps, cet effet de ressentir le Paris d’autrefois grâce à ce petit espace sanitaire bien plus authentique que de nombreux lieux touristiques. »

Ayant retrouvé son lustre d’origine, son décor est plus que jamais une attraction, que l’engouement médiatique autour de sa récente rénovation confirme. Avec ses boiseries et portes en acajou vernis savamment moulurées, le délicat motif floral de ses vitraux qui, faisant écho à celui des frises de carreaux de céramique ourlant les caissons du plafond, évoque immanquablement l’esthétique chère à Hector Guimard et Émile Gallé…, il a tout d’un petit musée.

Une autre vitrine des établissements Porcher, alors voisin 

Ce bijou Art nouveau, ce sont les établissements Porcher qui l’ont signé… et le font savoir, apposant leur nom sur la mosaïque qui orne les murs des escaliers menant au lavatory. Pour ce spécialiste alors français de l’équipement sanitaire, qui possède, en ce temps-là, un magasin à deux pas, sur la place, au 16 bd de la Madeleine, ces toilettes sont une vitrine de son savoir-faire, à la pointe du progrès (la devanture, avec ses boiseries et parements de façade Art nouveau, est visible en arrière-plan de la photo ci-contre, prise en 1918).
Dans la capitale, la création du lavatory de la Madeleine en préfigure d’autres – dont celui de Bastille, en 1909 (depuis très/trop longtemps fermé et considéré comme perdu, faute de mesure de conservation) – inaugurant un créneau porteur pour Porcher, marque qui a perduré, aujourd’hui toujours ancrée dans l’équipement des collectivités (groupe Ideal Standard).

Une restauration respectueuse du patrimoine

Conduite sous l’égide d’un architecte des Bâtiments de France, la restauration de ce lavatory inscrit sur la liste des Monuments historiques a pris soin de préserver le décor originel. Il ne s’agit par de reproduire les erreurs du passé (pas si lointain), qui ont conduit à l’amputer de sa galerie «hommes», cédée à la RATP (Promométro) qui l’a transformée en un local technique, exploité depuis par des opérateurs de réseau et téléphonie…

Préalable logique au lancement de la rénovation intérieure de ces commodités devenues donc mixtes, les travaux d’étanchéité pris en charge par la municipalité (250 000 euros, au bas mot) se sont révélés complexes car c’est la place qui fait office de toit pour ses toilettes en sous-sol, éclairées par un puits de lumière. Pour éviter tout risque d’infiltration (et limiter les dégâts si l’eau parvenait à se frayer un chemin), plusieurs strates de pavés de verre opaque séparent désormais le dehors du dedans, prêtes à faire tampon. Endommagées par l’humidité, la mosaïque menant au lavatory sera revue ultérieurement.

Des équipements sanitaires conservés ou remplacés à l’identique

Les toilettes du lavatory de la Madeleine à ParisAu cœur de ce lavatory centenaire, la plomberie avait tenu bon, pour le plus grand bonheur de l’architecte en charge du chantier : Lotfi Dali assure que « mis à part une ou deux canalisations, l’installation fonctionnait ». Dès lors que le gros œuvre en surface a été achevé, trois mois ont été nécessaires pour la remise en état globale (pour un budget d’environ 150 000 euros). Si les cuvettes WC ont été changées, la modernisation n’a pas eu raison des lavabos rétros, toujours en place, qui ajoutent au charme authentique de l’endroit.

Aux points d’eau, la robinetterie des origines avait depuis longtemps cédé sa place à une version plus adaptée aux usages intensifs et moins consommatrice d’eau. Témoin des d’améliorations apportées au confort d’usage, ce (relativement) vieux modèle temporisé de la marque Presto, spécialiste du genre, étant toujours commercialisé, les robinets ont été changés (Presto 600)… à l’identique, en laiton chromé (photo d’ouverture) ! Aux murs, les quelques carreaux blancs manquants ont été remplacés, là aussi par les mêmes qui, indémodables dans leur format 15 x 15 cm, figurent toujours au catalogue de Villeroy & Boch (gamme Pro Architectural 3). Au sol, un bon nettoyage a suffi, l’architecte ayant veillé à utiliser une recette non agressive et respectueuse de l’environnement, à base de vinaigre blanc, tout simplement.

La chaise du cireur de chaussures

La chaise du cireur de chaussures du lavatory de la Madeleine à ParisGarants de l’âme du lieu, des éléments emblématiques de l’époque ont été mis en valeur, à défaut d’être remis en service, les usages ayant changé : le fauteuil du cireur de chaussures trône littéralement, devenu un objet de curiosité, et la vitrine qui encercle l’un des piliers centraux ne propose plus d’articles pour fumeurs et autres journaux… Sur ce présentoir de boutiquier, le merchandising de jadis a fait place à une sélection d’archives visuelles et d’affiches qui célèbrent la mémoire de ce lavatory dont Fabrice Larbaletrier, responsable de ce projet de rénovation pour 2theloo, rappelle non sans fierté qu’il s’agit du « dernier en activité »… pour le moment. Car, ce n’est plus un secret, d’autres trésors devraient être prochainement réhabilités…

Lavatory Madeleine : 27 Boulevard de la Madeleine 75008 Paris, entrée payante (2 euros).
Propriétaire : mairie de Paris.
Concessionnaire : 2theloo (Point WC).
Responsable du projet de rénovation : Fabrice Larbaletrier (2theloo).
Architecte : Lotfi Dali (Atelier d’architecture Archipel).
Restaurateurs : Emma Groult/Atelier MurAnése (vitraux) et Sylvain Lucchetta (menuiseries acajou, serrures, fauteuil cireur).

Photos : © Clément Dorval/Mairie de Paris, © Michiel Stock/2theloo, © Wikimedia Commons.

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