Quand une baignoire entre dans l’Histoire : le dernier bain de Marat

La petite et la grande histoire se rejoignent parfois autour d’un objet insolite. Ici, il s’agit… d’une baignoire ! Mais pas n’importe laquelle, celle de Marat, dont le dernier bain appartient, pour toujours, à l’Histoire de France.

Gravure montrant Marat dans sa baignoire et Charlotte Corday
Illustration istockphoto.com

1793, une année terrible. Après l’exécution du roi, la Révolution s’est engagée dans une surenchère fratricide, sur fond de Terreur. Désireux d’en assagir le cours, les Girondins ont tenté de mettre Marat en accusation. Ils ont échoué, ils sont proscrits ; ils mourront.

Marat médecin

Né en Suisse, près de Neuchâtel, Jean-Paul Marat arrive à Paris en 1762 pour y étudier la médecine. En 1765, il part en Angleterre où il obtient son diplôme et exerce. Il y rédige un ouvrage contre le despotisme, dans lequel il prône (déjà) l’insurrection populaire. De retour à Paris en 1776, il devient médecin des gardes du comte d’Artois, frère du roi ; sa clientèle est nombreuse, son existence aisée, sa mise soignée. Il poursuit ses travaux sur la société, étudiant le caractère de classe de la législation, ainsi que des recherches sur l’utilisation de l’électricité en médecine. Deux événements vont rendre ce brillant médecin disponible pour l’agitation populaire : la maladie en 1782, puis la perte de sa charge en 1784.

Marat journaliste

En 1789, il a 46 ans. Nul n’est mieux prêt que lui à jouer un rôle, qu’il veut déterminant, dans le changement qui s’opère. Membre du Comité des Carmes, il sait l’importance de l’écrit et lance à ses frais, le 16 août, un journal dont il sera l’unique rédacteur. L’Ami du Peuple devient en quelques numéros l’un des grands titres de la presse révolutionnaire. Il tire à deux mille exemplaires, lus publiquement à Paris et en Province. Marat y développe sa vision des événement mais — est-ce un effet de la maladie ? — donne vite dans la hantise du complot. Il attaque Necker, Mirabeau, La Fayette… Dès le mois d’octobre, il doit se cacher pour écrire…

Faire taire Marat est impossible. Il a compris le premier que la stimulation et l’entretien de l’agitation populaire étaient à la base du processus révolutionnaire. Il réclame deux cents mille têtes, justifie les massacres de septembre. Elu député de Paris à la Convention, il vote la mort du roi, dénonce, invective. Il fait peur. Accusé par les Girondins, mais acquitté, il se déchaîne, obtient la proscription des Brissotins…

Le médecin bien mis est devenu un homme redouté, mais isolé, malade, sale, négligé et dont on s’écarte dans les allées de la Convention. Pourtant, cette « gueule de batracien » est aimé d’une femme, Simone Evrard, une jeune ouvrière qui le loge, le soigne et craint pour sa vie.

La maladie de Hébra

De quoi souffre Marat ? Les médecins historiens penchent pour la maladie de Hébra, sorte d’eczéma géant, douloureux, insupportable, qui ne peut être soulagé que par des bains fréquents, additionnés de soufre. D’autres maux l’assaillent : des céphalées violentes, avec fièvre, qu’une serviette nouée en turban atténue mal ; des troubles gastriques et une soif ardente qui le font s’abreuver de tasses d’eau mélangée de pâte d’amande et de terre glaise. On a aussi parlé de diabète maigre et de syphilis au dernier degré. Rien n’est prouvé. Mais les atteintes neurologiques sont évidentes.

la sècne du meutre de Marat du Musée GrévinMarat est devenu impotent, et son organisme, épuisé par les veilles et le travail de forcené, est complètement délabré. Rétrospectivement, le couteau de Charlotte Corday n’aura abrégé sa vie que de quelques mois. Le peintre David, lui rendant visite la veille de sa mort, est frappé par son teint jaune et sa « peau de lépreux » qui émerge de la baignoire. Une baignoire sabot en zinc probablement verni parce que sombre, qui semble toute petite (il est vrai que Marat était de très petite taille), avec un robinet de vidange à son extrémité. Acquise par le musée Grévin en 1886 (pour 5 000 F) auprès du sieur Le Gosse, chanoine honoraire de Sarzeau, et tenue pour véritable, cette baignoire célèbre est toujours visible au sous-sol du musée (créé en 1882), dans la scène reconstitué de l’assassinat (photo ci-dessus).

Mademoiselle Corday, meurtrière par conviction

Charlotte Corday d’Armont, 25 ans, est l’arrière-petite-fille du grand Corneille. De famille normande noble mais pauvre, c’est une jeune femme connue pour sa douceur, sa voix enfantine et sa beauté, restituée par son portrait le plus ressemblant (celui d’Haüer) et son passeport : visage ovale, cheveux châtains, yeux gris, front élevé, menton rond… Sa jeunesse a été solitaire, nourrie des lectures de son temps : Plutarque, Rousseau…

Républicaine, elle a été choquée par la mort du roi, et les récits des Girondins réfugiés à Caen l’indignent. Le nom de Marat revient souvent. Si Charlotte n’a pas la tragédie dans le sang, l’époque est à la tragédie ; elle imagine un geste digne de son aïeul ; tuer le monstre et rétablir en se sacrifiant la paix et la concorde. Sans rien dire, elle part, arrive à Paris le 11 juillet, espérant tuer Marat à l’Assemblée. Elle ne peut l’y trouver, ce dernier étant reclus depuis plusieurs mois. Elle se rend alors chez lui, mais éconduite par Simone Evrard, elle écrit un billet où elle assure qu’elle a des révélations à lui faire sur la situation à Caen.

Le 13 juillet

Vers sept heures du soir, Mademoiselle Corday entre au 20 rue des Cordeliers (aujourd’hui rue de l’Ecole de Médecine) et monte au premier étage, occupé par Simone Evrard. Elle est vêtue d’une robe de basin rayé gris, d’un fichu blanc et d’un chapeau haut de forme, conique et noir, alors à la mode. Sous son fichu, un couteau à manche de nacre, à lame longue, un peu courbe et dont la pointe est légèrement relevée. Simone Evrard fait barrage, Charlotte insiste, Marat entend la discussion et demande qu’on fasse entrer.

Il est dans sa baignoire garnie d’un linge de bain. Sa tête est enveloppée d’une serviette humide. La pièce est petite, pratiquement sans meuble, sobrement éclairée d’une fenêtre qui donne sur une cour. Sur la table, une simple planche de bois fait table pour du papier, des journaux, une plume d’oie. Sur le côté, un billot de bois supporte l’encrier. Marat questionne. Charlotte répond, cite des noms que le député note, tire alors le couteau et frappe avec fermeté. La lame s’enfonce jusqu’à la garde, perfore le poumon et tranche une artère. Marat pousse un cri et meurt presque aussitôt. Simone Evrard surgit, appelle à la garde qui s’empare de la meurtrière, droite, immobile, comme figée.

Epilogue

Conduite à la prison de l’Abbaye, la fille Corday est transportée le 16 juillet à la Conciergerie et le 17 juillet, à sept heures du soir, exécutée. Assez ignoblement, l’aide de Sanson, le bourreau, montre sa tête au peuple et la gifle. La foule murmure, indignée ; l’homme sera écroué. Au cours du procès, le calme et la beauté de Charlotte Corday ont impressionné ; on dit même que le président fut tenté de la sauver et que l’affaire « faillit péter entre les doigts de Fouquier », l’impitoyable accusateur public.

Mais le geste devait aller à l’encontre du but poursuivi, il fit de Marat un martyr et relança la surenchère contre les Girondins. L’Histoire « tranchait » et Marat entrait pour toujours dans la galerie des portraits légendaires de la Révolution, bien au-delà des frontières. Il y a un peu plus de 100 ans, le célèbre humoriste américain Mark Twain, évoquant l’évènement, s’exclama : « Et bien, pour une fois qu’un Français prenait un bain… »

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