L’esprit salon de bains : successeur moderne du boudoir d’antan

L’empreinte féminine de ce parti-pris esthétique que représente l’esprit boudoir se virilise dans le registre, plus actuel, du salon de bains. Il ne s’agit pas d’un style reconnu mais d’une esthétique que l’on élabore soi-même, reflet fidèle de la personnalité de son auteur.

Inventé sous la Régence, le mot « boudoir » apparaît dans les dictionnaires du XVIIIe siècle. Dérivé du verbe « bouder », il définit un « petit cabinet où l’on se retire quand on veut être seul ». La Pompadour, puis la du Barry, contribuèrent à lancer la mode du lieu et du mot. La reine Marie-Antoinette fit ainsi aménager un boudoir dans ses appartements et, en 1795, le marquis de Sade l’introduisit dans le titre de l’un de ses sulfureux ouvrages : La philosophie dans le boudoir.
La connotation féminine du boudoir est évidente, mais il ne faut pourtant pas d’y tromper, son équivalent masculin a existé. Ce fut soit le cabinet de travail (dans lequel « on se retire » contrairement au bureau, où « l’on va »), soit le fumoir. L’esprit boudoir est donc bien accessible aux deux sexes.

Le boudoir est un lieu d’intimité

salle de bain boudoir au château de CandéSi le boudoir exprime l’idée d’être seul, provisoirement retiré de l’entourage immédiat, son décor subit l’influence de cette intention : il se veut chaud, moelleux, douillet… Tapis épais, tentures, divan, objets d’art, objets-souvenirs créent une atmosphère très personnelle, une composition esthétique qui n’obéit pas à des images convenues. Appliquer ce principe à la salle de bains n’a rien d’extravagant, c’est même une tradition discrète en décoration d’intérieur. Cet esprit boudoir ou salon de bains, pour employer un terme plus actuel, représente l’antithèse de l’esprit zen. Au dépouillement un peu froid de ce dernier, il oppose la profusion et parfois la surcharge. Mais le but poursuivi est similaire : créer un lieu où l’on se sente bien, un lieu d’intimité et de ressourcement, en cherchant à gommer son aspect utilitaire pour en faire une pièce presque distincte des autres.
Nous avons trouvé dans le magazine Decodage consacré au design un petit texte qui résume assez bien cette idée : « Le besoin d’isolement est inné. Il a pour objet de reposer nos sens et rendre vierges nos différents champs de perception. Pour ce faire, trouver un endroit qui fait naître un sentiment de confiance, entouré d’objets qui participeront éventuellement à ce travail de relâchement. Cet isolement provisoire, dont on doit pouvoir choisir le moment et garder le contrôle, nous permet de nous soustraire au rôle que nous tenons dans l’espace social » (Thomas Vitry et Thomas Mangold, Point de vue, janvier 2000).

Faux problèmes

Faut-il privilégier les formes courbes ou les formes rectilignes ? Préférer les couleurs chaudes aux tons froids ? Prendre le parti du rétro plutôt que du moderne ? Dissimuler les appareils ? Toutes ces questions ne sont que faux problèmes. L’esthétique du salon de bains s’accommode de tout, même d’un espace réduit.
Rappelons que, lorsque la salle de bains était une exception, comme au XVIIIe siècle, les baignoires étaient fabriquées par un ébéniste qui intégrait à un châssis de bergère allongée, dans le style du temps, une cuve en cuivre ou en zinc. Telle fut celle de Marie-Antoinette à Trianon, dans un décor de glaces peintes, ornées de rinceaux, d’oiseaux, de fleurs… Au début du XIXe siècle, la baignoire était souvent située dans une petite alcôve et dissimulée par une boiserie. Lorsqu’elle n’était pas utilisée, elle était alors couverte par une couvercle capitonné, formant un siège. Comme il n’y avait ni robinets, ni lavabos, le salon de bains ne se distinguait pas des autres, comme on peut le voir dans l’ancien hôtel Bourienne, à Paris.
De nos jours, il serait ridicule de se priver d’un confort sanitaire de plus en plus élaboré. Toutes les opportunités, esthétiques et techniques, sont bonnes à prendre, car ce qui importe, ce n’est pas tant le bijou que l’écrin, c’est-à-dire la mise en scène des appareils et des fonctions.

Le confort moderne sans compromis

baignoire rétro dans une salle de bains façon boudoirInutile donc de renoncer à un robinet thermostatique, une baignoire balnéo, une douche multi-jets. Prenons l’exemple du lavabo : le développement des vasques « bol » en céramique posés sur une table entre bien dans l’esprit du salon de bains, mais on peut aussi utiliser un lavabo design aux formes épurées (posé, sur colonne ou suspendu), ou bien un modèle d’inspiration baroque. Une baignoire pourra aussi être mise en évidence s’il s’agit d’un modèle 1900 ou en îlot, ou bien encore largement encastrée. On préfèrera alors un encastrement en bois hydrofuge à un revêtement carrelé (à moins que celui-ci n’imite le bois). Le cas de la douche est plus délicat. L’esprit salon suppose une douche obturée par un rideau textile de belle qualité, préférable à la paroi en verre. S’il l’on opte pour une cabine complète, on aura intérêt à la dissimuler à l’aide d’un claustra fin ou d’un rideau sur tringle, pour que cet équipement s’intègre au mieux. Côté revêtements, il existe des carrelages qui permettent de réaliser un effet « tapis de sol » mais, bien que plus coûteux, les bois hydrofuges donneront plus de chaleur. Par contre, on évitera de carreler les murs, une plinthe suffit, et l’on aura recours aux peintures à effets, aux laques satinées ou au papier peint waterproof.

Le triomphe du détail

Tout est dans la mise en scène. A partir du moment où les appareils sanitaires sont installés, c’est l’accumulation de détails, d’objets inhabituels, qui fera la différence. Exemple : le miroir au-dessus du lavabo sera serti d’un cadre ancien. Le mobilier peut être soit détourné d’autres pièces et autres usages (coiffeuse, petite commode, bonnetière, fauteuil crapaud, tabouret de piano…), soit sélectionné parmi les meubles dédiés à la salle de bains, à condition que leur design les rende susceptibles d’aller dans d’autres pièces. Le choix est aujourd’hui assez large pour satisfaire tous les goûts.
Tapis de bain ? Allez vers des motifs neutres, ton sur ton, en évitant les produits trop typés. Plus le textile est présent, plus l’effet salon s’accroît. On garnira donc la fenêtre de rideaux et l’on optera pour du linge coordonné (tapis, rideaux). Ne pas hésiter à couvrir les murs de sous-verre (mais éviter les tableaux sur toile), à installer un vase ou une statue sur une sellette, à poser quelques étagères pour accueillir des bibelots, des boîtes, des flacons colorés…  Chaque détail ajouté éloigne un peu plus la pièce de son aspect fonctionnel, la rend plus cosy. Le seul point sur lequel on ne peut se permettre la fantaisie est celui de l’éclairage, qui doit respecter les normes. Il sera nécessairement conforme et discret, en équilibrant le direct et l’indirect.

Chiner, détourner, choisir… et créer un salon de bains

salle de bains boudoir avec objets chinésLes chineurs sont souvent portés vers l’esprit salon de bains. Peu utilitaristes, ils résistent mal au plaisir de la trouvaille et du détournement d’objet, afin de casser les poncifs décoratifs de la salle de bains. Ils ne sont pas les seuls, les architectes d’intérieur et designers ayant par exemple détourné le vieux timbre d’office pour en faire un lavabo atypique. D’autres ont retenu une antique fontaine de pierre ou une banquette d’étage démobilisée. On a même vu réutiliser des bénitiers d’église en forme de coquille.
On aura compris qu’il s’agit d’une esthétique hors du temps, où le mobilier de bain classique n’a pas sa place. Mais on peut aussi chiner dans le neuf, parmi la production récente des fabricants. Aux modèles rétro typés 1900 ou 1930 se sont ajoutés des offres design aux lignes rigoureuses, mais aussi des produits plus tourmentés, d’inspiration rustique, baroque, exotique… C’est d’ailleurs l’un des phénomènes les plus intéressants du décor de la salle de bains que cette évolution vers un mobilier qui, bien que spécifique, n’est cependant pas en rupture avec celui des autres pièces du logement, comme le séjour ou la chambre. Tout cela milite en faveur d’un esprit salon, successeur moderne et unisexe du boudoir de jadis.

Photos, de haut en bas : salle de bains du château de Montpoupon (via Wikimedia.org), salle de bains boudoir au château de Candé (via Wikimedia.org), photos Frédéric Ducout.

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