Les porteurs d’eau : un petit métier qui nous parle du temps d’avant le robinet

Du Moyen Age jusqu’à la fin du XIXe siècle, les porteurs d’eau ont représenté l’un des mille petits métiers parisiens, et non le moindre, ainsi que le plus attendu des « cris de Paris ». On peut aujourd’hui rendre hommage à ces anonymes et pittoresques prédécesseurs du robinet.

Porteur d’eau, un rude métier et un métier d’Auvergnat. Lorsque Paris s’éveillait autrefois, c’était à l’aube, avec les appels de ces métiers ambulants, joliment nommés les « cris de Paris ».

Dessin porteur d'eau au 18ème siècleA l’eau, à l’eau… C’est ainsi que se signalaient les porteurs d’eau. Dès la fin du XIIIe siècle, on en compte une soixantaine. La ville est alors peu étendue, l’eau de la Seine est encore claire et presque chaque maison possède son puits. Puis, avec l’urbanisation, le nombre des maisons et des étages s’accroît, mais il n’en est rien de celui des puits. Pour trouver de l’eau, il faut donc aller au fleuve ou aux fontaines et, pour la conduire dans les étages, il faut des épaules, du souffle, des mollets. C’était la tâche des porteurs d’eau, un métier « franc » (n’obéissant pas à des règles corporatives), tenus par des gens d’Auvergne et où la force n’était pas seulement nécessaire pour transporter les seaux.

Fleuve et fontaines

Au XVIIIe, le fleuve n’est plus limpide et une ordonnance interdit aux porteurs, en cas de forte chaleur et de sécheresse, de puiser entre Maubert et le Pont-Neuf, à cause de l’infection des eaux. Ils doivent en outre puiser l’eau dans le grand cours et non sur les bords. Photo : Wikipedia.

Si l’eau est plus claire aux fontaines, leur nombre s’accroît lentement : elles ne sont que trois sous Charles V, seize en 1599, quarante-deux en 1670 et quarante-cinq en 1683. L’une des plus célèbres est celle des Innocents, superbement décorée par Jean Goujon et élevée en 1549 à l’angle des rues Saint-Denis et aux Fers, près du cimetière du même nom. La plus imposante est celle de la Samaritaine, au Pont-Neuf. Elle abritait la première machine élévatrice de Paris, construite par Henri IV pour alimenter le Louvre et les Tuileries. Elle sera démolie en 1813, lorsque l’eau du canal de l’Ourcq alimentera la capitale.

Jusqu’à trente livraisons par jour

Avec les fontaines, le nombre des porteurs (et des porteuses, le métier n’étant pas exclusivement masculin) augmente. C’est ainsi qu’ils sont environ cinq mille en 1600, quinze mille vers 1782, Louis-Sébastien Mercier, l’auteur du « Tableau de Paris », allant jusqu’à vingt mille. Ils sont d’autant plus utiles que l’eau des puits devient impropre à la cuisson des légumes et au savonnage. Les polluants sont multiples : sulfate et nitrate de chaux, déjections organiques, infiltration d’eaux ménagères et… cimetières.

Recueil des modes de la Cour de France, le porteur d'eauLe porteur à bretelles est l’image la plus familière aux parisiens. Il est équipé d’une sangle de cuir en diagonale sur les épaules et munie de deux crochets de fer pour accrocher les seaux, d’abord en hêtre puis en fer blanc. A partir du XVIIIe, apparaît le cerceau qui maintient les seaux loin du corps, tout en les stabilisant. Une « nageoire », rond de bois posé sur le seau plein, évitait les pertes et les éclaboussures.

Deux seaux composent une « voie d’eau » soit 23 à 25 litres. Avant la Révolution, elle était vendue entre 2 et 4 sols selon les étages. Mercier assure qu’un bon porteur effectuait jusqu’à trente livraisons par jour, soit une recette de 60 à 120 sols. A l’époque, un ouvrier non spécialisé de la fabrique de papiers peints Réveillon était payé 20 à 30 sols par jour (soit environ une livre), et Réveillon payait bien. Il se vendait alors quotidiennement pour 20 000 livres d’eau dans Paris (il fallait 20 sols pour composer une livre et 24 livres pour obtenir un louis). Le métier n’était donc pas de misère et certains parvenaient à épargner en suffisance pour doter leur fille ou se retirer au pays. Photo : Recueil des modes de la Cour de France, le porteur d’eau (via Wikipedia).

Le rayon d’action des porteurs à tonneau était plus vaste que celui des porteurs à bretelles. Ils étaient aussi moins nombreux car il fallait investir dans l’achat d’une charrette, d’un tonneau et si possible d’un cheval. Mais la fatigue était moindre, la capacité et le gain supérieurs, même s’il fallait de toute façon grimper les escaliers. Les porteurs à tonneaux s’approvisionnaient exclusivement à la Seine, sur de petits appontements ou des bateaux-barges. A partir de 1771, des pompes furent installées sur ces emplacements.

La clarification des eaux

L’eau puisée dans le grand cours était néanmoins douteuse et, dès 1763, fut créée une Compagnie des Eaux Filtrées et Clarifiées, réservée aux porteurs à tonneaux. En 1777, la création de la Compagnie des Eaux répond plus précisément à ce besoin de « clarification ». La Compagnie des frères Périer installe des pompes et des réservoirs sur la colline de Chaillot, un système d’épuration-filtration par sable et gravier et des conduites. Paris se trouve ainsi doté de sept fontaines dites « marchandes ». Ces fontaines, qui jouaient un rôle capital de pompe à feu en cas d’incendie, firent craindre un moment pour le métier des porteurs.

Du déclin des bretelles à celui des tonneaux

photo d'un porteur d'eau au XIXe siècleEn réalité, le développement rapide de la capitale, les mesures d’hygiène qui condamnent de nombreux puits (il en existait encore trente mille en 1870), continuèrent de faire la « fortune » des porteurs d’eau tout au long du XIXe siècle. Dès le début cependant, confrontés à la concurrence des tonneaux, les porteurs à bretelles s’efforcèrent, selon leurs moyens, d’en adopter la pratique. Les prix des « fonds » augmentèrent jusqu’à s’aligner sur ceux des débits de boisson. Photo : Porteur d’eau à Rennes au XIXe siècle, Société Photographique de Rennes – Au pays de Rennes, 1892 (via Wikipedia).

Sous le Second Empire, en 1858, on comptait encore près de neuf cent porteurs à tonneaux qui ne s’approvisionnaient plus dans la Seine mais aux dix fontaines marchandes de la ville. Mais le métier déclinait au rythme des adductions d’eau. Il disparut peu avant la guerre de 14-18, les « fouchtras » reconvertissant leurs charrettes dans la livraison du bois et du charbon.

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