Saint-Nicolas et le miracle des enfants sortis du bain : un conte de Noël au goût de sel

Savez-vous que c’est dans un baquet de bois que s’est forgée la légende de l’ancêtre du père Noël ? Au Moyen Age, saint Nicolas est devenu le protecteur des enfants en ramenant à la vie trois écoliers dont un sinistre boucher avait mis en saumure les corps, plongés dans une cuve aux allures de baignoire.

Une image de saint Nicolas et une sculpture des trois enfants mis en saumure dans un baquet, qu'il a ressuscités.

Ainsi résumé, voilà un conte horrifique que nul ne songerait à placer sous le sapin ! Et pourtant, la célébration de Saint-Nicolas le 6 décembre puise ses racines dans cette légende, fût-elle digne d’un film d’épouvante. Ci-dessus : image d’Epinal, Digital Memory of Catalonia, Espagne ; détail d’une sculpture, église Saint-Martin de Saulnières, Ille-et-Vilaine, Wikimedia Commons.

Depuis le XIIe siècle, dans la grande tradition des miracles hagiographiques (relatifs aux saints), une légende a forgé l’image de saint Nicolas comme gardien des enfants, préfigurant l’invention contemporaine du père Noël. Dans le nord et l’est de la France, tout particulièrement en Alsace et en Lorraine, mais aussi dans de nombreux pays d’Europe (Allemagne, Autriche, Belgique, Luxembourg, Pays-Bas, Suisse), l’on attribue à l’évêque de Myre (270–343) une résurrection exemplaire : celle de trois jeunes innocents, victimes d’un assassin prêt à faire commerce de leur viande.

La salaison miraculeuse

Une complainte attribuée à saint Bonaventure (1217-1274) – mais qui fait suite à la diffusion d’un poème pieux du trouvère Robert Wace (1100-1175) – a contribué à assurer la transmission orale de ce mythe. Sculpture en bois de Saint Nicolas, représentation des enfants sortis du bainMaintes fois transcrite et chantée (jusqu’à être recueillie, en 1842, par Gérard de Nerval [1]), elle raconte la mésaventure de trois écoliers insouciants (parfois représentés comme de jeunes clercs) qui, égarés dans l’obscurité, ont demandé l’hospitalité à une providentielle maisonnée. Las, c’était celle d’un fieffé boucher ! Profitant de leur crédulité, l’homme les tua durant leur sommeil, puis les dépeça et les mis en saumure dans des tonneaux de bois. Ci-dessus : sculpture en bois, vers 1500, Pays-Bas et peinture sur bois de Bicci di Lorenzo, vers 1433–35, Met museum, New York.

L’assassin les y conserva durant sept longues années, jusqu’à ce que saint Nicolas fasse à son tour une halte dans l’auberge maudite. Au souper, plutôt qu’une tranche de veau ou un morceau jambon, il insista pour que lui soit servi ce petit-salé qui marinait durablement ! Une exigence qui précipita, dit-on, la fuite du cruel cabaretier, convaincu d’être démasqué. S’approchant alors du saloir, le prélat leva trois doigts. Le geste, magique, eut pour effet de rendre la vie aux innocents qui sortirent aussitôt de leur bain léthargique.

La puissance du miracle plutôt que l’horreur du crime

Vitrail et enluminure représentant saint NicolasUn tel cantique macabre a sans nul doute frappé les esprits, faisant écho au folklore local nourri d’histoires de monstres dévoreurs d’enfants et d’étaliers cuisinant, faute de mieux ou par roublardise, de la chair humaine en période de famine. Ayant saisi la portée narrative de cet épisode sanglant, les artistes n’ont pas manqué de le traduire dans la pierre, les vitraux, les chapiteaux des églises, les enluminures… Très répandues, ces œuvres ont focalisé le récit sur sa conclusion heureuse plutôt que sur le supplice choquant des enfants découpés en morceaux. Ci-dessus : enluminure de l’atelier du Maître de Bedford, France, vers 1440-1450, Getty Museum ; vitrail, église Saint-Nicolas, L’Hôpital, Moselle, 1882, Wikimedia Commons.

Une légende construite autour d’un objet domestique

L’iconographie la plus courante les montre émergeant d’un contenant qui est le support symbolique du miracle. C’est aussi le point où se cristallise une confusion vieille de plusieurs siècles tant il ressemble à une baignoire. Ou tout du moins à l’idée, relativement neuve, que l’on s’en fait…Tableau et gravure représentant saint Nicolas faisant sortir les enfants du bain de saumure

La salle de bains, en tant que pièce destinée exclusivement à la toilette, est une invention récente, de même que l’équipement qui la compose. Jusqu’à l’époque moderne, un baquet pouvait avoir mille usages, migrant facilement du lavoir au saloir et servant plus rarement à se laver. La spécialisation des objets domestiques est un processus lent, entamé entre le XVIIe et le XIXe siècle. Si, polyvalents, les contenants en bois cerclé dans lesquels on se baigne au Moyen-âge et à la Renaissance ne sont pas différents de ceux, utilitaires, employés pour les vinifications ou les salaisons, l’on remarque que le glissement s’est progressivement fait vers une représentation plus édulcorée du miracle. Davantage conforme à un public enfantin, une cuve plus ouverte, ronde ou ovale, évoque une sorte de tub. Cette forme familière nous donne à penser qu’il s’agit, pour ces bambins, d’une douce immersion. De la cuve technique à la cuve miraculeuse, la scène devient alors presque baptismale. Un exemple de transformation du récit par le support visuel ! Ci-dessus : huile sur panneau de bois, retable de sainte Anne par Gérard David, XVe siècle, National Gallery of Scotland, Édimbourg, Wikimedia Commons ; Dessin à la sanguine de Giovanni Agostino Ratti, entre 1699 et 1795, Met museum, New York.

De la marmite du boucher à la cheminée de Noël

En gommant la violence, l’iconographie qui a cheminé jusqu’à nous (livrets de colportage, chromos, cartes postales, images d’Épinal, timbres, réclames…) fait de la baignoire un symbole non pas de mort, mais de renaissance, voire d’innocence retrouvée. L’ambiguïté du baquet-saloir, où la chair cesse d’être vivante pour être conservée, reflète l’évolution du récit, passé du conte macabre et moral à la légende protectrice de saint Nicolas. Si l’évêque est toujours identifié par sa crosse épiscopale et sa mitre (désormais sa barbe), il n’est pas exclu que le baquet ait à voir avec une eau différente, quoiqu’elle aussi salée.Timbres-postes représentant saint Nicolas.

Car un autre miracle du saint – originaire de Grèce – concerne le sauvetage de marins perdus en pleine tempête. Se pourrait-il que, sur les images, ces mousses en perdition apparaissent comme des enfants aux côtés du prélat, dont la taille est proportionnelle à l’importance spirituelle et sociale ? Et que, pour ces adultes miniaturisés conformément aux conventions graphiques de l’époque, le baquet-saloir soit en réalité une barque ? Ainsi, la fête que nous célébrons chaque année et qui vient récompenser les enfants sages, trouverait-elle sa source dans une simple erreur de compréhension ? Ci-dessus : timbre-poste français, 1951 ; affiche pour la loterie nationale, deuxième moitié du XXe siècle, Picryl.

La légende empruntant bien des mers, une autre figure, transgressive, a traversé le temps. Le père Fouettard aurait ainsi pour ancêtre le boucher : un criminel converti en pédagogue par la morale chrétienne, condamné, pour sa rédemption, à accompagner celui qui a triomphé de lui lors de sa tournée de friandises et de cadeaux.

Le miracle de saint Nicolas : partition[1] La BNF (Gallica) propose une version interprétée par Irma Nordmann, soprano des Concerts Colonne (enregistrement entre 1911 et 1921, édité chez Louis Weill) de La Légende de Saint-Nicolas : Il était trois petits enfants/Qui s’en allaient glaner aux champs/S’en vont au soir chez un boucler/Boucher, voudrais-tu nous loger ?/Entrez, entrez petits-enfants/Il y a de la place assurément/Ils n’étaient pas sitôt entrés/Que le boucher les a tués/Les a coupés en petits morceaux/Mis au saloir comme pourceaux/Saint Nicolas au bout d’sept ans/Saint Nicolas vint dans ce champs/Il s’en alla chez le boucher/Boucher, voudrais-tu me loger ?/Entrez, entrez, Saint Nicolas/Il y a d’la place, il n’en manque pas/Il n’était pas sitôt entré/Qu’il a demandé à souper/ Voulez-vous un morceau d’jambon ?/ Je n’en veux pas, il n’est pas bon/Voulez-vous un morceau de veau ?/Je n’en veux pas, il n’est pas beau !/Du p’tit salé je veux avoir/Qu’il y a sept ans qu’est dans l’saloir !/Quand le boucher entendit cela/Hors de sa porte il s’enfuya/ Boucher, boucher, ne t’enfuis pas/Repens-toi, Dieu te pardonn’ra/Saint Nicolas posa trois doigts/Dessus le bord de ce saloir/Le premier dit : J’ai bien dormi !/Le second dit : — Et moi aussi !/Et le troisième répondit : Je croyais être en paradis ! Ci-dessus : imagerie d’Epinal, Museum of European Cultures, Staatliche Museen, Berlin.

Claudine Penou, journaliste professionnelle, travaille depuis plus de 20 ans en presse écrite (professionnelle et grand public), développant en parallèle des activités dans l’édition et la communication. Depuis 10 ans, elle se consacre au secteur de la salle de bains, et plus spécifiquement au décryptage des tendances (fond et forme). Contact

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