Avez-vous déjà observé de petites constructions en encorbellement, à l’aplomb des châteaux forts et autres murailles moyenâgeuses ? Ce ne sont pas des postes de gué ou de quelconques guérites aux avant-postes desquelles s’organisait la défense seigneuriale. Ce sont des latrines, suspendues au-dessus du vide.
A l’époque féodale, les latrines en encorbellement, fonctionnant sur le principe de l’évacuation gravitaire, sont réservées aux édifices les plus cossus et les plus imposants. Leur usage est attesté en Europe (parfois même jusqu’au XIXe siècle), à la campagne comme en ville. De dimension très modeste, la « cabine » repose souvent sur des corbeaux. Elle est en bois ou en pierre à la manière d’une bretèche (ouvrage de fortification en saillie sur une façade), mais n’a rien d’un dispositif militaire, bien qu’il s’agisse aussi, en quelque sorte, d’y tenir un « siège » (et que la chute des matière fécales eut pu, il est vrai, faire fuir un éventuel assaillant). A l’inverse, le siège et l’orifice des latrines à encorbellement sont « protégés » des tirs de flèche et autres tentatives subreptices d’assaut par une utile retombée du mur…

Formant de minuscules excroissances sur la façade, ces toilettes suspendues sont généralement en communication avec les salles et l’escalier. Voûtées, dotées d’une ventilation (naturelle) et d’un pertuis, ou ouverture, pour l’extraction, elles peuvent être équipées (assez rarement toutefois) d’un couvercle de bois afin de refermer le trou béant. D’autant que celui-ci est le plus souvent aménagé à même la dalle et en étage élevé (voire au sommet d’une tourelle ou dans un angle rentrant situé entre une tour et une courtine), c’est-à-dire à plusieurs dizaines de mètres du sol…

En tombant, les déjections sont « collectées » en principe dans un fossé, l’eau des douves se chargeant (lorsqu’elles existent) de leur évacuation, à défaut d’égout. En l’absence de chasse (et de conduit d’évacuation), c’est tout simplement l’eau de pluie (à condition que la météo s’y prête) qui « nettoie » les excréments qui « ruissellent » le long des murs (parfois aussi sur les murs). D’où la relégation des latrines en façade secondaire, sur le côté… Une autre solution usuelle consiste à laisser choir la lie dans une zone isolée, où elle sera ensuite récupérée pour amender les cultures, constituant un compost de premier choix pour les roses de Ronsard.

Le curage de ces fosses est assuré une fois l’an par un corps de métier aujourd’hui disparu, spécialisé dans l’exécution de cette tâche ô combien ingrate. Les membres de cette corporation sont alors appelés les « maîtres fifi ». Un surnom en apparence sympathique mais dont l’étymologie (toujours fort instructive) nous apprend qu’il s’est construit à partir de l’interjection « fi » qui exprime le mépris, la répugnance qu’inspire quelque chose ou quelqu’un. Un synonyme courtois de « pouah » ou de « beurk » en somme…




