Le bourdalou, l’ancĂȘtre du pisse-debout

L’apparence de cette piĂšce de cĂ©ramique est trompeuse. Il ne s’agit pas d’une sauciĂšre, avec laquelle elle est souvent confondue, mais bien de l’ancĂȘtre du pisse-debout, cet urinoir fĂ©minin en forme d’entonnoir qui fait depuis peu fureur dans les festivals lorsqu’il est impossible (re)courir aux toilettes ou de s’isoler de la foule. Origine, usage
 vous saurez bientĂŽt tout sur le bourdalou.

Collection de cinq bourdalou

Mais quel est donc cet Ă©trange objet ? Bien avant l’avĂšnement des water-closets dans les habitations, se soulager s’avĂ©rait compliquĂ©, faute de lieux et de dispositifs dĂ©diĂ©s. De temps aussi
 Car c’est d’abord pour rĂ©pondre Ă  un besoin aussi prĂ©cis que pressant que ce bassin, dĂ©sormais surannĂ©, est nĂ©. Lorsqu’à la messe le prĂȘche s’éternisait et qu’il Ă©tait impossible de quitter discrĂštement l’assemblĂ©e de fidĂšles, comment les dames pouvaient-elles faire, au sens premier comme au sens familier du terme ? Las de trĂ©pigner d’envie pendant les interminables sermons d’un abbĂ© jĂ©suite considĂ©rĂ© en son temps comme le « roi des prĂ©dicateurs », celles de la cour de Louis XIV lui ont dĂ©diĂ© ce rĂ©cipient salvateur, baptisĂ© ironiquement de son nom. C’est en tout cas ce que racontent les croyances populaires


Une histoire que narre ainsi Alexandre Dumas dans ses fameuses MĂ©moires :
« Comme, dans ce cas, prendre, c’Ă©tait voler, madame Hugo s’abstint, et, en supposant que le bourdalou fĂźt partie d’une collection, la collection ne fut pas dĂ©pareillĂ©e. Maintenant, pourquoi ces petits vases allongĂ©s s’appellent-ils des bourdalous ? Voici : C’est que l’illustre prĂ©dicateur faisait de si interminables sermons, que les femmes durent prendre, contre leur longueur, certaines prĂ©cautions que nous croyons inutile d’expliquer. Plus heureux que Christophe Colomb, le fondateur de l’Ă©loquence chrĂ©tienne a donnĂ© son nom, nous ne dirons pas Ă  un nouveau continent dĂ©couvert par lui, mais Ă  un nouveau meuble inventĂ© Ă  cause de lui, lequel meuble, par sa forme allongĂ©e et Ă©troite, offrait de plus grandes facilitĂ©s de transport. »

Une autre source avance que la popularitĂ© du prĂ©dicateur Ă©tait telle que les ferventes venaient Ă  l’Ă©glise trĂšs en avance prendre leur place, laquelle « ne serait certes pas demeurĂ©e vacante » s’il avait fallu la quitter sans les commoditĂ©s offertes par ce petit vase
 [1]

Il faut dire que les homĂ©lies de Louis Bourdaloue (1632-1704) pouvaient durer plus de deux heures d’affilĂ©e et soumettre, on l’imagine aisĂ©ment, les vessies aux enfers
 Les femmes de la haute sociĂ©tĂ© plaçaient donc en cachette cet instrument portatif sous la crinoline de leurs nombreux jupons ou dans un manchon et pouvaient libĂ©rer ainsi leur miction sans bouger, ni ĂȘtre vues. A l’époque – et jusqu’aux annĂ©es 1830 et mĂȘme au-delĂ  –, les culottes Ă©taient fendues ce qui, au prix de quelques contorsions, rendait tout cela possible sans mĂȘme avoir Ă  se dĂ©shabiller. Certes incommode, le procĂ©dĂ© valait mieux que rien et, Ă  la volĂ©e entre deux bancs, les servantes se chargeaient d’évacuer aux abords immĂ©diats de l’édifice l’urine rĂ©coltĂ©e dans un silence religieux. Gravure ci-dessus : Pierre Louis Grevedon (Henri Grevedon), Louis Bourdaloue, portrait en buste du jĂ©suite français d’aprĂšs Jouvenet, lithographie sur papier, 1825, British Museum, Londres (Wikimedia Commons).

De forme oblongue ou plus renflĂ©e, parfois rĂ©trĂ©cie en son centre Ă  la maniĂšre d’un osselet et prĂ©sentant presque toujours une remontĂ©e avant et arriĂšre censĂ©e prĂ©server les vĂȘtements des Ă©claboussures, le bourdalou Ă©tait une piĂšce de cĂ©ramique plus ou moins fine. Porcelaine dĂ©licate ou faĂŻence plus commune, il s’utilisait dĂ©bout ou accroupi(e), scĂšne immortalisĂ©e par le peintre François Boucher vers 1760, dans une toile intitulĂ©e La Toilette intime, Ă©galement connue sous le titre certes grivois, mais plus explicite, d’Une Femme qui pisse. Ci-contre : François Boucher (1703-1770), La Toilette Intime, collection particuliĂšre (Wikimedia Commons).

En usage au XVIIe siĂšcle et au XVIIIe siĂšcle, puis tombĂ© progressivement en dĂ©clin au cours du XIXe siĂšcle, le bourdalou est considĂ©rĂ© aujourd’hui comme une dĂ©clinaison ovale et fĂ©minine du pot de chambre, mĂȘme s’il s’éloignait volontiers des alcĂŽves, et n’était pas destinĂ© Ă  recueillir autre chose que l’urine, contrairement au vase de lit, vouĂ© Ă  d’autres « roses ».

Bon Ă  savoir : ce mot dĂ©signe aussi un large ruban de soie finement cĂŽtelĂ© utilisĂ© en chapellerie, ainsi qu’une tarte aux poires pochĂ©es Ă  la crĂšme d’amandes (la fameuse Amandine).

[1] Dictionnaire de l’ameublement et de la dĂ©coration, Henry Havard (1894), rĂ©Ă©ditĂ© par Editions Vial.

Collection de cinq bourdalouPhotos d’ouverture
Au centre,
Bourdalou de la manufacture de porcelaine de Meissener, vers 1730-1735, H 7,9 × L 21,3 × P 11,9 cm, motif de chinoiseries peint par Philipp Ernst Schindler, Rijksmuseum, Amsterdam (Wikimedia Commons).
De gauche Ă  droite et de haut en bas : Manufacture impĂ©riale, Vienne, 1744-49, musĂ©e Marton, Zagreb (Wikimedia Commons) – FaĂŻence Ă©maillĂ©e, XVIIIe siĂšcle, collections Cooper Hewitt, Smithsonian Design Museum, New York (Wikimedia Commons) – Porcelaine de SĂšvres, vers 1767, collections Cooper Hewitt, Smithsonian Design Museum, New York (Wikimedia Commons) – Porcelaine de SĂšvres, fin du XVIIIe siĂšcle, collections Cooper Hewitt, Smithsonian Design Museum, New York (Wikimedia Commons).

Infos compémentaires sur cet article

1 COMMENTAIRE

LAISSEZ UN COMMENTAIRE

S'il vous plaĂźt entrez votre commentaire!
S'il vous plaĂźt entrez votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.